Les cheveux blancs


J’ai des cheveux blancs. Des cheveux BLANCS. Qui s’invitent dans ma chevelure brune. J’aurais pu être blonde pour tout camoufler, pour une fois j’aurais pu l’espérer. Mais de la courbe de mes sourcils aux poils de mes orteils, je suis brune. Des aisselles aux mollets, quand il fait froid, je suis chocolat. Ça tombe plutôt bien, parce que j’aime ça. Pourtant depuis quelques temps, s’y mêlent des fils d’argent. Ça aurait pu bien tomber, parce que j’aime ça, mais pas autant que le chocolat. Je n’ai que 32 ans tout rond, hier encore 31 ans, toutes mes dents, et des cheveux blancs.
Comme pour me narguer, ce sont les plus brillants et les moins filasses que je n’ai jamais eus. Des cheveux en pleine santé qui témoignent de la mienne sur le déclin. Je les arrache donc consciencieusement et un par un, je sacrifie au passage quelques jeunes congénères dont le seul tort est d’avoir un mauvais voisinage. Mine de rien, de vieux ou pas, le cheveu blanc est coriace. Il ne se laisse pas mourir comme ça, non. Il est fier, il résiste, il se bat pour sa survie. Tel le Phoenix, lorsque je tente une extermination à coup de lisseur trop chaud, il renaît de ses cendres, ou plus souvent de ses racines, et repousse immanquablement. Plus fort, plus éclatant, plus épais, se tenant droit comme un I. C’est un rebelle, un vrai. Un peu comme moi. Un guerrier. Un peu comme moi. Une tête de pioche sur ma tête de cloche.
Je n’ai pas très envie de voir se matérialiser ainsi le temps qui passe et file à toute allure. Je me tartine de crème antirides et m’hydrate à tout va, je retiens ma frange avec les barrettes multicolores de mes filles, je porte à mes poignets une montre rose fluo et des bracelets fleuris d’où se balancent joyeusement des breloques de pain d’épices. Je suis jeune, je voudrais l’être encore plus pour profiter avec toute l’insouciance de ma trentaine des moments vécus à 20 ans. Ces fils clairs dans ma crinière font ombre au tableau.
Mais au fond de moi, je les aime bien. J’en garde quelques uns, bien cachés sous des volutes brunes, qui me rappellent tout ce que j’ai vécu et qu’il est doux de vivre avec. Je suis petite et grande à la fois. Je suis une sale gamine et une maman heureuse. J’ai de chouettes gamines et je suis une femme amoureuse. Ça m’a pris du temps de m’en rendre compte et de l’accepter. Ça a pris du temps à mes cheveux blancs de pousser.

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